Correspondance économique - Date de parution : 24/03/2025
L'Elysée a annoncé vendredi que le président Emmanuel MACRON envisage, sur proposition du Premier ministre, de nommer M. Bernard FONTANA, président du directoire de la filiale Framatome, directeur exécutif en charge du pôle Industrie et Services d'EDF, comme président-directeur général d'EDF en remplacement de M. Luc REMONT.
Rappelons que M. Luc REMONT, ancien directeur général des opérations internationales du groupe Schneider Electric, a succédé à M. Jean-Bernard LEVY à la tête d'EDF en novembre 2022. Son mandat doit arriver à l'échéance à l'été, mais la nomination de son successeur pourrait survenir avant, et même "dès que possible" selon une source étatique. Elle doit néanmoins encore être approuvée par les commissions intéressées à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Le choix de M. FONTANA vise à "projeter EDF vers l'avenir" et "accélérer" dans le nucléaire, a affirmé M. François BAYROU. "C'est le patron de Framatome, c'est-à-dire ceux qui ont joué un rôle dans la filière nucléaire très important. C'est un industriel, c'est-à-dire qu'il a l'habitude de diriger des équipes, d'accélérer des chantiers", a-t-il fait valoir.
Né en 1961, ancien élève de l'Ecole polytechnique, diplômé de l'Ecole nationale supérieure des techniques avancées (ENSTA), M. Bernard FONTANA a réalisé l'essentiel de sa carrière au sein du groupe SNPE où il est entré en 1987. Tout d'abord ingénieur au centre SNPE de Toulouse, il rejoignit l'établissement de Sorgues en 1988 où il fut successivement "production manager/chemical sector" (1988), puis "manager chemical sector" (1990). "General manager" de Bergerac NC de 1992 à 1996, il devint à cette date "general manager" de SNPE Chimie. Nommé directeur stratégie et développement du domaine chimie fine du groupe SNPE en 1998, il devint en octobre 1999 directeur Amérique du Nord du groupe (Etats-Unis, Canada, Mexique). Il intégra ensuite en septembre 2004 le groupe Arcelor en qualité de vice-président exécutif, en charge des ressources humaines du secteur Flat Products Europe avant de devenir vice-président exécutif, responsable du secteur Automobile d'Arcelor Mittal. Nommé en juillet 2007 vice-président exécutif, en charge des Ressources humaines d'ArcelorMittal, il fut nommé en septembre 2010 directeur général de la division Acier inoxydable d'ArcelorMittal devenu (2011) Aperam à l'issue de sa scission avec le groupe sidérurgique. Nommé directeur général d'Holcim en février 2012, il fut nommé président-directeur général d'Areva NP depuis septembre 2015. M. Bernard FONTANA est président du directoire de Framatome (filiale d'EDF). Il est parallèlement directeur exécutif en charge du pôle Industrie et Services d'EDF depuis avril 2024. Il est par ailleurs administrateur de Thales (sur proposition du secteur public), et représente Framatome au sein du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire
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Tensions avec les industriels
La décision concernant M. REMONT est intervenue quelques jours après un conseil de politique nucléaire (CPN), réuni lundi dernier sous l'égide de M. MACRON (cf. CE du 18/03/2025). Ce point d'étape avait été l'occasion de sommer l'énergéticien public, repassé à 100 % sous le giron de l'Etat, "de présenter d'ici la fin de l'année un chiffrage engageant, en coûts et en délais" concernant le nouveau programme nucléaire. L'Etat a en tête "des échéances majeures qui arrivent", avec une "décision finale d'investissements" attendue en 2026, étape cruciale pour lancer le chantier, et "les premiers bétons qui doivent ensuite arriver le plus rapidement possible", a confirmé une source étatique proche du dossier. Il s'agit en toile de fond d'éviter la répétition du scénario de Flamanville, le chantier EPR émaillé d'aléas techniques ayant fait déraper les coûts et le calendrier. "Aujourd'hui, l'enjeu de maîtrise industrielle est vraiment une priorité et pour le moment pas totalement satisfaisant", a souligné la même source
Dès son arrivée à la tête de l'EDF, M. REMONT s'était employé à défendre les intérêts du groupe, Son objectif était de voir EDF renouer avec la rentabilité, afin notamment de dégager les ressources nécessaires pour la relance de l'atome. Un objectif atteint et salué jusqu'au sommet de l'Etat, qui lui reconnaît aussi "un grand exercice de transparence" pour "objectiver l'ensemble des sujets soulevés par ce programme", a observé la source, tout en relevant la nécessité actuelle "d'accélérer".
Par ailleurs depuis plus d'un an, les relations de M. REMONT avec les industriels français - ses plus gros clients - s'étaient fortement tendues. Ces derniers dénoncent des prix de l'électricité trop élevés qui pénalisent leur compétitivité, alors que l'Etat cherche de son côté à lutter contre la désindustrialisation. Jeudi, le président-directeur général de Saint-Gobain Benoît BAZIN était même allé sur BFM à parler d'un" bras d'honneur à l'industrie française" au sujet desdits tarifs.
Pour autant, la décision d'écarter M. REMONT n'est "pas" une "sanction", ont insisté des sources gouvernementales, qui mettent plutôt en avant la préférence de l'Etat pour un "profil industriel spécialiste du nucléaire". "Le ceur de la raison de la nomination, c'est vraiment l'enjeu industriel, ce n'est pas le sujet de la politique commerciale", a affirmé une source étatique. De son côté, M. Alexandre GRILLAT, secrétaire général de la CFE-Energie, premier syndicat d'EDF, a déploré un mandat de seulement deux ans pour M. REMONT, compte tenu de la gouvernance de "long terme" d'un énergéticien comme EDF. "Ce n'est pas une bonne chose pour l'entreprise", a-t-il estimé. Quant au choix de M. <FONTANA, "au moins, c'est quelqu'un qui connaît le groupe EDF" et qui vient d'un "métier du nucléaire", a-t-il observé.
M. Luc REMONT défend son bilan et expose ses divergences avec l'Etat
Dans une interview ce dimanche au "Figaro", M. Luc REMONT défend son bilan en faisant valoir une "baisse massive des prix" et le redressement de l'entreprise, et en estimant n'avoir pas de "leçon de patriotisme industriel à recevoir". Il regrette l'engagement "pas suffisant" de l'Etat pour le financement de la relance du nucléaire. "Ma mission est terminée, mais même si elle n'a duré que vingt-huit mois cela reste pour moi la mission d'une vie", résume-t-il en présentant ses divergences avec l'Etat actionnaire, dont il constate "une dégradation" dans la capacité à "concevoir le changement (...) à prendre des décisions et à tenir sa parole". Il se félicite d'avoir redressé EDF dont la production d'électricité a progressé de 30 % tandis que les prix ont baissé. "Nous nous sommes engagés à proposer des contrats de long terme, au prix le plus bas possible, dans un environnement concurrentiel. Cela ne veut pas dire à n'importe quel prix", dit-il, en référence aux contrats d'électricité nucléaire au coeur de négociations très tendues avec les grands industriels, qui ont jugé leur prix trop élevé.
Réagissant au commentaire du président-directeur général de Saint-Gobain, M. Luc REMONT juge n'avoir "pas de leçon de patriotisme industriel à recevoir". "EDF est le premier investisseur industriel en France (...) Mais une entreprise publique n'est pas là pour faire des subventions à un petit club privé." "Nous avons pris des engagements très forts fin 2023 pour sortir d'un schéma qui tuait l'entreprise", ajoute-t-il, évoquant le système dit Arenh, imposant à EDF de céder à des concurrents, distributeurs ou industriels "électro-intensifs" (gros consommateurs) des quotas d'électricité à bas prix. Si les ventes aux enchères étaient vues d'un mauvais oeil par l'exécutif, "c'est une demande explicite des autorités de concurrence et de régulation. Je ne vois pas en quoi se mettre en conformité avec le droit est une provocation", déclare M. REMONT, ajoutant que les enchères portent "sur moins de 3 % de la production nucléaire". Il regrette enfin "un effort (de l'Etat) certes important (pour le financement des nouveaux réacteurs, NDLR), sous la forme d'une garantie de prix de l'électricité et d'un prêt bonifié", mais "pas suffisant" pour la relance du nucléaire. "J'ai demandé des choses simples : un prêt d'Etat non bonifié, pour limiter le volume des émissions obligataires d'EDF. J'ai aussi souhaité un - pacte de confiance - sur les prélèvements de l'Etat sur EDF (...). Je n'ai pas été entendu", conclut-il.